Depuis la révolution industrielle, la croissance est basée sur la capacité à avoir de l’énergie. Avec le libéralisme, nous faisons face à un choc des courants de pensées entre démocraties et régimes autoritaires.
Se débarrasser des énergies fossiles met à mal certains pays qui ne l’acceptent pas (ex : la Russie). Les matières premières sont devenues les éléments de négociation politique. Et bientôt, il faudra s’attendre à la bataille de l’eau…
Nos sociétés doivent maintenant investir dans de nouvelles technologies au service de la production d’énergie. En effet, il est plus facile de produire de l’argent (via des technologies, donc de l’intelligence) que de produire de l’énergie fossile.
De cette tectonique issue du choc de la production et de la consommation d’énergies fossiles, émerge l’intelligence qui vole au secours de nos économies. Avant, les pays de l’Union Européenne étaient considérés comme des leaders du fait de leur monnaie forte. Aujourd’hui cela est terminé ! Le nouvel étalon est la sécurisation par des investissements dans de nouvelles énergies.
Nous allons être confrontés à deux modèles de sociétés : les pays producteurs d’énergie fossiles qui vont s’appauvrir de par leur modèle économique devenu obsolète reposant sur le pétrole, et les pays qui seront rapidement capables de disposer d’une nouvelle économie reposant sur l’intelligence et la technologie. La décarbonation répond pleinement à cette problématique.
La guerre en Ukraine incite ainsi à repenser urgemment le fonctionnement de nos sociétés occidentales. L’enjeu est de taille puisqu’il s’agit de regagner notre indépendance stratégique, tout en s’appuyant sur la mise en place de stratégies durables. C’est d’ailleurs ce qu’a rappelé à juste titre Bruno Le Maire en insistant sur le fait que la décarbonation de la France demeure une priorité nationale. Il faut un plan de résilience pour notre pays et plus largement l’Union Européenne qui doit prendre davantage d’autonomie vis-à-vis de la dépendance extérieure. La France a la capacité de répondre à un tel appel avec brio. Comme le rappelle Churchill, « un optimiste voit l’opportunité dans chaque difficulté ». Cela a été largement démontré durant la crise de la Covid 19, où l’excellence française dans le numérique a su prendre les devants avec réactivité et talent : oui nous avons des solutions effectives ! Nous ne pouvons plus procrastiner, nous n’avons pas le choix ! C’est une nécessité !
Premier constat du conflit entre la Russie et l’Ukraine : la hausse des prix des énergies. Tout d’abord, le prix du gaz qui a atteint le 7 mars 2022 un nouveau record, autour de 350 euros le MWh. En conséquence de cette augmentation des prix du gaz, il est normal que le prix de l’électricité augmente à plus de 700 euros le MWh sur le territoire européen. Vient ensuite l’augmentation du prix des carburants (à plus de 2 euros le litre).
A ces bouleversements géopolitiques, nous le voyons, vient s’entremêler l’ensemble des questionnements sur la manière de décarboner notre modèle économique. Avant le conflit, on ne cessait de marteler l’impérative nécessité d’accélérer la décarbonation du pays avec pour but d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, mais la réduction de la dépendance vis-à-vis des fournisseurs étrangers, telle que la Russie, ne fait qu’accélérer cette transition décarbonée. Et nous ne parlons pas uniquement du secteur énergétique mais de l’ensemble des importations (matériel divers, industrie pharmaceutique, etc.).
17% du gaz consommé en France vient de Russie. Renégocier nos contrats longs termes avec nos fournisseurs historiques de gaz n’y suffirait pas pour augmenter les importations de gaz nécessaire. Si nous voulons nous émanciper de la dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie, il faudrait acheter davantage de GNL (Gaz Naturel Liquéfié) au Qatar et aux Etats-Unis pour compenser la perte de la Russie. Et pour compenser le gaz russe, il est nécessaire de se doter de davantage de navires méthaniers sachant qu’un méthanier transporte environ l’équivalent de deux jours de consommation de gaz pour la France. Malheureusement, cette nouvelle donne en matière de demande de gaz nous mettrait en concurrence avec l’Asie, engendrant une concurrence sur les prix du gaz qui serait vendu au plus offrant ; la poursuite de l’augmentation des prix du gaz est donc loin d’être finie. Précisons aussi que les stocks français de gaz ont déjà été pratiquement consommés. Ces derniers étaient encore au plus haut en novembre 2021 mais ils se vident à présent. Qu’en sera-t-il l’hiver prochain ? Il reste peu de mois pour poser les jalons de la nouvelle stratégie d’approvisionnement de la France et sceller de nouveaux contrats.
Cette guerre en Ukraine ne fait que maximiser la fragilité de l’Union Européenne, sur l’absence d’un plan cohérent de sortie des énergies fossiles. Il faut miser sur des énergies renouvelables compétitives et qui nous affranchissent de la dépendance à d’autres pays, comme le recommande Catherine MacGregor, la DG d’Engie.
Devrons-nous rationner le gaz dès l’hiver prochain ? Devrons-nous demander à chaque Français de baisser d’un ou deux degrés son chauffage pour contrebalancer cette pénurie de gaz à venir ?
Ce qui est certain, c’est qu’il faut investir massivement dans la R&D pour décarboner les procédés électriques. En France, l’industrie représente 20% des émissions de GES mais 100% des solutions. Nous sommes capables de produire des produits décarbonés en France et accessibles à tous. Entre 1995 et 2015, nous avons diminué de 40% les émissions de GES en France mais l’empreinte carbone a augmenté de 17% du fait des importations, sans parler de la baisse du nombre d’emplois générée. La France dispose d’atouts majeurs : une électricité largement décarbonée et une excellente ingénierie. Il faut se concentrer sur l’efficacité énergétique et l’innovation technologique.
Effectivement, des alternatives sérieuses existent : la production de « gaz vert » en guise de carburant pour la filière agricole et le chauffage domestique et le développement de l’hydrogène vert avec l’enjeu de fabrication d’électrolyseurs à bas couts. D’ailleurs Bruno Le Maire a précisé que 7 milliards d’euros de soutien public seraient consacrés au développement d’une filière hydrogène décarbonée en France à l’horizon 2030 pour non seulement assurer notre souveraineté technologique et énergétique française mais également pour répondre aux objectifs de décarbonation de nos sites industriels et de notre mobilité. Et plus globalement, cette démarche stratégique s’inscrit plus que jamais dans la lignée des initiatives de l’Union Européenne en faveur de la mise en place du Projet Important d’Intérêt Commun (PIIEC) sur l’hydrogène, point de départ d’une filière hydrogène décarbonée en Europe.
Mais au-delà des solutions technologiques, c’est en tout premier lieu nos habitudes de production et de consommation qui doivent s’adapter, autrement dit mettre au diapason notre mode de vie quotidien. Il est hautement recommandé de mettre davantage de sobriété dans son quotidien pour faire face à l’inflation ; pour répliquer face à la hausse annoncée des prix, les consommateurs vont par exemple privilégier la réduction du gaspillage alimentaire et favoriser le recyclage.
Quoi qu’il en soit, un gel des prix et surtout une baisse des taxes sur l’essence sont difficilement envisageables. Il est bénéfique de laisser agir le signal prix pour encore quelques temps afin d’inciter à la réduction de notre consommation d’énergies fossiles ; l’intérêt est double, car comme le rappelle Philippe Martin, le président délégué du Conseil d’Analyse Economique (CAE), la réduction de notre dépendance au pétrole et au gaz représente un intérêt pour des raisons environnementales mais également car cette consommation finance le conflit en Ukraine.